Rôle des évènements de vie stressants • Hypothèse cognitivo-comportementale • Hypothèse neuro-développementale • Hypothèse neurobiologique • Hypothèse neuro-endocrinienne • Hypothèse génétique • Hypothèse psychanalytique
Maladie bipolaire: rôle des évènements de vie stressants
C’est souvent rétrospectivement qu’on met en relation le déclenchement initial de la maladie bipolaire ou celui des récidives avec des évènements de vie stressants : perte d’un proche, déménagement, changement d’emploi, décalages horaires… Les consommations d’alcool et de toxiques, notamment le cannabis, seraient aussi des catalyseurs mais il faut rester prudent et ne pas confondre coïncidence dans le temps (d’autant plus sujette à caution qu’elle est relevée rétrospectivement) et relation de cause à effet. Tout se passe comme si ces évènements de vie interagissaient avec un « terrain » particulier, c’est-à-dire sur des individus fragiles ou vulnérables. En outre, les évènements de vie stressants pourraient avoir un impact croissant au fur et à mesure de l’évolution de la maladie, c’est ce qu’on appelle la théorie de l’embrasement empruntée à l’épilepsie : au fil du temps des évènements de moindre importance déclencheraient les épisodes de plus en plus facilement jusqu’à ce que ces épisodes se déclenchent spontanément.
Hypothèse cognitivo-comportementale
Issu des travaux de Skinner dans les années 1940, le comportementalisme (Behaviorisme pour les anglo-saxons) a pour objet d’étude les comportements. Il étudie les processus d’apprentissage et de développement via les mécanismes de gratifications et de punitions en distinguant d’une part les comportements et d’autre part les « états internes » insuffisamment observables pour être étudiés scientifiquement.
La psychologie cognitive qui lui succède trouve, elle, ses origines dans les travaux de John Von Neumann dans les années 50. Elle étudie le cerveau humain comme un processeur (ou un ensemble de processeurs), et s’intéresse donc aux processus mentaux, c’est-à-dire aux mécanismes de mémorisation, de raisonnement, etc… Le cognitivisme succède donc au behaviorisme en réintégrant l’étude des « états internes ».
Ces théories ont permis d’identifier un certain nombre de « dysfonctionnements du traitement des pensées » par les sujets, à l’origine de diverses difficultés psychiques. Ainsi, dans les troubles anxieux notamment, cette approche a ouvert le champ des thérapies comportementales et cognitives (TCC).
Dans l’approche cognitiviste, les évènements de vie peuvent être lus comme une menace dépressive chez les sujets présentant une faible estime de soi, menant aux idées de mégalomanie et finalement à la manie qui serait une forme de défense face à la dépression. Manie et dépression seraient donc deux états cognitivement proches. Dans la maladie bipolaire, si ces théories ne permettent pas d’expliquer l’ensemble des troubles, elles ont tout de même permis de mettre en évidence un certain nombre de « dysfonctionnements » cognitifs, à l’origine d’une mauvaise observance médicamenteuse, de difficultés à reconnaître précocement les fluctuations de l’humeur et à gérer stress personnels et environnementaux… Les TCC se révèlent donc une approche complémentaire intéressante de la prise en charge des patients atteints de troubles bipolaires.
Hypothèse neuro-développementale
La découverte de très discrètes perturbations neurologiques chez certains patients (mises en évidence rétrospectivement dès l’enfance), celle d’anomalies cérébrales minimes lors d’examens d’imagerie cérébrale et d’autres anomalies électrophysiologiques ont conduit à développer l’hypothèse d’une vulnérabilité neurologique qui existerait dès les phases précoces du développement, fruit de l’hérédité ou d’anomalies du développement neurologique (imputables, par exemple, à des incidents minimes survenus pendant la grossesse). Cette vulnérabilité ne suffirait pas à causer la maladie bipolaire elle-même, mais pourrait fragiliser le sujet concerné et le rendre ultérieurement plus sensible à d’autres facteurs de risque.
Hypothèse neurobiologique
L’efficacité du lithium et des autres thérapeutiques médicamenteuses dans la maladie bipolaire laisse penser que des anomalies chimiques au niveau des neurotransmetteurs intracérébraux pourraient être associées au trouble, ce qui est corroboré par un certain nombre d’études effectuées chez l’animal et chez l’homme.
Hypothèse neuro-endocrinienne
Une augmentation de la sécrétion de cortisol a été évoquée dans certaines dépressions périodiques. Par ailleurs on décrit des troubles psychiques d’allure soit maniaque soit dépressive lors des corticothérapies (traitement par cortisol et autres produits proches proposé par exemple dans certaines maladies allergiques). Ces anomalies non spécifiques ne sont pas présentes chez tous les patients mais pourraient dans certains cas participer au développement de cette maladie.
Hypothèse génétique
Tous les travaux scientifiques concordent pour constater que certaines familles sont plus marquées par la bipolarité que d’autres, et que cette fragilité particulière ne peut pas entièrement s’expliquer par les conditions partagées en termes d’éducation, de culture ou d’histoire familiale. Il existe bel et bien des associés à la maladie bipolaire.
Ainsi le risque de développer une maladie bipolaire chez une personne donnée est multiplié par 5 à 10 lorsqu’un parent du 1er degré est atteint. De même, le risque est plus élevé pour des jumeaux identiques (40 à 70% de concordance) que pour des « faux jumeaux ». Ces constatations vont dans le sens d’une transmission au moins partiellement génétique du trouble. Cependant, entre deux jumeaux identiques la concordance n’est pas de 100%, qu’ils soient élevés ensemble ou non : si l’un est atteint l’autre ne l’est pas toujours, infirmant ainsi la thèse d’un gène unique de transmission simple. Il est admis que plusieurs gènes de vulnérabilité interviennent et l’on parle de maladie « à héritabilité complexe ».
Posséder les gènes de vulnérabilité ne détermine pas que l’on développera la maladie. Ainsi que dans l’hypothèse neuro-développementale, les conditions induites par la présence de ces gènes de vulnérabilité ne constituent qu’un état de fragilité, dans lequel le sujet est plus à risque de développer la maladie bipolaire que celui qui ne présente pas ces conditions.
Des études génétiques ont permis d’identifier certaines régions pouvant contenir des gènes de vulnérabilité, notamment sur les chromosomes 9, 10, 14, 13, 22. Bien sûr d’autres pistes sont en voie d’exploration.
Hypothèse psychanalytique
Il serait bien ardu et terriblement réducteur de résumer en quelques lignes les théories psychanalytiques des troubles bipolaires.
Freud le premier les a énoncées et formalisées dans « Deuil et mélancolie » en 1915, comparant les mécanismes de la mélancolie à ceux du deuil et considérant la manie comme le négatif de la mélancolie. Plus tard Karl Abraham (« Les états maniaco-dépressifs », 1924), Mélanie Klein (« Contribution à l’étude de la psychogenèse des états maniaco-dépressifs », 1934), Paul Claude Racamier (« Dépression, deuil et alentour »,1985) et bien d’autres encore ont contribué à développer ces théories.
Celles-ci ne s’opposent pas aux hypothèses d’inspiration « biologique » : elles abordent des questions similaires mais à un niveau différent d’observation et d’explication. Du reste Freud lui-même, neurologue de formation, est toujours resté dans l’espoir que l’on mettrait un jour en évidence les fondements « biologiques » de ses propres théories.